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Académie d'Etudes Civiques et Sociales
10 octobre 2013

des questions concernant l'école ...

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Skholè un terme grec dont proviennent, entre autres, "école " ou "school " - a, en grec ancien, le sens général d’un arrêt, d’un répit ou d’une trêve, d’une suspension temporelle. Mais cette suspension n’est pas conçue par eux comme une parenthèse, ni un divertissement, ni comme un luxe  : loin d’être seconde par rapport à ce qu’elle suspend, elle est première en valeur …

l’occupation liée à la subsistance, l’affairement de la vie quotidienne, un certain type de travail, se dit, par opposition et avec un certain mépris, a-skholia, privation de skholè ; la skholè désigne en effet la temporalité propre des activités qui font, aux yeux des Grecs anciens, la dignité de l’existence proprement humaine – et au delà, divine –, par opposition aux occupations serviles qui sont la marque d’une soumission aux besoins de la vie animale.

Cette temporalité se caractérise fondamentalement par sa liberté, c’est à dire par son détachement – en droit si ce n’est en fait - vis à vis de toute échéance et de tout compte : le temps “skolaïque” ou “scolaire” est “calme”, “tranquille” voire “lent” (traductions possibles de l’adjectif skholaios) parce qu’il est le temps de la maîtrise du temps, un temps dans lequel l’action peut se dérouler à loisir, prendre son temps, se donner le temps au lieu d’être emportée par lui, comme à l’accoutumée : un temps libre, souverain.

Ainsi, relèvent de la skholè les pratiques du jeu, de la gymnastique, du théâtre et des arts, et, à certains égards, la participation aux affaires publiques, la politique. Ce qui rapproche toutes ces activités entre elles, c’est en effet une forme de “gratuité” - qui tient à leur caractère auto-finalisé - et la liberté qu’à la fois elles supposent et engendrent. C’est pourquoi le mot en vient rapidement à désigner plus particulièrement l’activité studieuse, puis les lieux et les ouvrages d’étude eux-mêmes : l’étude et la lecture fournissant l’un des meilleurs paradigmes de la skholè, de ce temps librement suspendu dans lequel peut se déployer une activité qui est à elle-même sa propre fin, et dont la pratique élève et anoblit celui qui s’y consacre.

L’étendue des savoirs disponibles et devant être maîtrisés, comparée aux faibles capacités cognitives d’un individu, expliquerait la crise de l’éducation moderne, selon un mathématicien, philosophe de l’éducation, américain, Philip Phenix. C’est peut-être, écrivait-il en 1956, le problème majeur de l’éducation contemporaine. Cette crise est accentuée par un dilemme : la demande simultanée pour la maîtrise technique et pour une éducation attachée à la compréhension profonde et vaste du monde naturel et humain. La formation d’experts hautement spécialisés est un impératif économique. Mais l’étroitesse de vue et la parcellisation de la connaissance qui viennent en conséquence de la spécialisation menacent d’“anéantir l’équilibre fragile de la civilisation”.

Il n’est pas certain que le développement moderne des savoirs conduise à redéfinir les missions pédagogiques fondamentales de l’école. Ne réclame-t-on pas, au moins depuis le 16ème siècle, des têtes bien faites ? A ce sujet, il s’agissait, selon Montaigne, de former des hommes habiles et non des savants ; les conducteurs ou “maîtres” devaient avoir la tête bien faite plutôt que bien pleine, les deux étant requises au demeurant, mais la morale et le jugement [les mœurs et l’entendement] étaient jugés plus importants que la science même. A y bien regarder, il s’agit d’une évidence, d’un ordre de priorité qui n’oppose pas les termes qu’il engage. Le jugement est bien ce que l’école se donne pour objet de former principalement, en lui conférant profondeur, intensité, amplitude et, en conséquence, autonomie. Il n’est donc nullement besoin d’invoquer l’étendue croissante des savoirs produits par la modernité pour conclure à l’économie cognitive attendue de l’enseignement. Cette dernière représente l’objet atemporel de toute éducation intellectuelle.La domination profonde de son sujet par l’enseignant est une condition préalable à une pédagogie visant l’appropriation par l’élève des fondements rationnels d’une discipline.

En mars 2012, quelques mois avant la formation du nouveau gouvernement et le lancement par le ministre Vincent Peillon d’un chantier de “refondation” de l’école, le G.R.D.S. (Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire) publiait ses propres “propositions pour une refondation du système éducatif”, sous le titre de l’Ecole commune.

Selon les auteurs, “le système actuel se caractérise par une distribution inégalitaire des ressources financières et humaines de l’institution, ainsi que par une “organisation concurrentielle” qui opère une sélection discriminatoire entre filières, entre établissements, entre classes et entre élèves, à travers les processus d’orientation et d’évaluation”. 

Ce qui conduit le G.R.D.S. à la proposition phare d’un tronc commun de 3 à 18 ans – l’“école commune”qui donne son titre à l’ouvrage -,  parcours scolaire obligatoire unique et unifié d’une quinzaine d’années à l’intérieur duquel l’école garantirait la progression continue et réussie de tous les élèves, sans exception jusqu’au seuil des études supérieures ou professionnelles. Dans le détail, ce cursus unifié, tout entier orienté de bas en haut vers son terme, s’organiserait ainsi :

- l’école “enfantine” de 2 à 6 ans

- l’école “première” de 6 à 11 ans

- l’enseignement secondaire de 11 à 18 ans

Au terme du parcours, serait d’abord obtenu, par tous les élèves à l’issue de la classe de première, un “baccalauréat de culture commune”, généraliste et indifférencié. Ensuite, l’année de terminale deviendrait le premier palier d’orientation, laissant une place plus large à des enseignements optionnels, débouchant sur un “baccalauréat de spécialité” et ouvrant aux voies de formations supérieures, générales, technologiques ou professionnelles, de longueur variées. Ainsi unifié, l’ensemble du cursus de la scolarité obligatoire viserait “l’accès effectif de tous à une culture générale la plus élevée possible, qu’elle que soit par ailleurs la place de chacun dans l’organisation sociale et la division du travail”, et repousserait au-delà de 17 ans toute orientation plus spécialisée.

La thèse fondamentale étant par ailleurs que tous les enfants sont suffisamment outillés intellectuellement, au départ, pour que l’école puisse prendre en charge avec succès leur formation poussée, il en résulte que la réussite de “l’école commune” - comme l’échec actuel de l’“école unique” - est étroitement corrélée à l’efficacité de l’école élémentaire

Il semble bien ressortir de cette proposition, un caractère quelque peu “inactuel” et décalé par rapport aux conditions présentes des jeunes générations et de leur relation au savoir et à la culture. 

Alors que l’enseignement en général et toutes les questions scolaires et universitaires obsédaient la réflexion de Péguy, à l’image de leur importance dans le monde moderne dont l’écrivain est le plus véhément contempteur, peu de travaux ont été consacrés à cet aspect pourtant matriciel de son œuvre. 

L’école primaire dont il témoigne et qu’il encense à travers la figure perdue des “hussards noirs” représente de ce point de vue un événement inouï pour l’humanité : la rencontre du peuple et de la vérité. 

Il dénonce la domination du “parti intellectuel” qui s’étend du primaire jusqu’à l’Université, “à l’image de l’arrivisme de ces jeunes gens qui passent directement de l’ancienne et de la nouvelle École normale au Parti socialiste unifié”. Or “les anciens intellectuels devenus députés”, “notamment les  anciens professeurs, nommément les anciens normaliens nourrissent une sorte de haine véritablement démoniaquecontre la culture, affirme Péguy avec virulence dans  Notre jeunesse … La modernisation scolaire représente la terrifiante opération par laquelle “un État peut vider un enseignement de tout son contenu de culture et de liberté

De l’enfant du peuple, orphelin de père, au lycéen boursier, Péguy est lui-même le survivant d’une traversée homérique des institutions scolaires, depuis son entrée à l’école primaire en 1880 jusqu’à l’École normale supérieure en 1894. Mais sa propre "pathobiographie" scolaire ne livre pas pour autant les causes permettant de comprendre les oscillations de son admiration et la férocité de ses détestations, puisque les échecs semblent avoir participé autant que les réussites aux tournants féconds de sa vie douloureuse. Péguy ne deviendra pas un heureux professeur de lycée ou d’université. Il adhérera au parti socialiste en 1895 mais critiquera la politique de Combes et de Jaurès, s’engagera en faveur de Dreyfus en 1898 pour en arriver à dénoncer la “décomposition du dreyfusisme”, et jusque dans l’annonce de sa conversion au catholicisme en 1907, il gardera “ce  vieil esprit de liberté de l’esprit”. 

Quand on parcourt Hannah Arendt on peut découvrir que quel que soit le lien qui existe entre le faire et le savoir, ou quelle que soit la valeur de la formule pragmatique, l'application de celle-ci à l'éducation, c'est-à-dire à la façon dont l'enfant apprend, tend à faire du monde de l'enfance un absolu. Sous prétexte de respecter l'indépendance de l'enfant, on l'exclut du monde des adultes pour le maintenir artificiellement dans le sien, dans la mesure où celui-ci peut être appelé un monde. Cette façon de tenir l'enfant à l'écart est artificielle, car entre enfants et adultes elle brise les relations naturelles qui, entre autres, consistent à apprendre et à enseigner, et parce qu'elle va en même temps contre le fait que l'enfant est un être humain en pleine évolution et que l'enfance n'est qu'une phase transitoire, une préparation à l'âge adulte.

A un autre niveau, Marie, Jean, Antoine, Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, né le 17 septembre 1743 à Ribemont, dans l'Aisne, entré après des études chez les jésuites et une thèse présentée devant Clairaut, Fontaine et d'Alembert, à l'Académie des sciences en 1769 et en 1782 à l'Académie française, publia pendant la révolution son œuvre sur l'instruction publique et proposa également un plan de Constitution, présenté en février 1793.  Mais le projet fut repoussé et un nouveau adopté rapidement. Condorcet protesta alors publiquement, ce qui lui valut d'être mis hors la loi. Il essaya de se cacher pendant plusieurs mois, mais, blessé à une jambe et affamé, il se fit prendre dans un cabaret de Clamart le 27 mars 1794 et mourut tragiquement le lendemain dans sa cellule de prison, à Bourg-la-Reine, devenant ainsi héros et martyr de la Révolution française.On lui doit la théorie la plus complète et la plus moderne de l'école républicaine. Deux textes en organisent le développement, Les Cinq mémoires sur l'instruction publique publiés en 1791 et le Rapport sur l'instruction publique publié en 1792.

Enfin pour conclure ce mot, on pourra également consulter deux ouvrages :

Enseigner les humanités, Enjeux et méthodes de la fin XVIIIème siècle, dirigé par Jean-Noël Laurenti et Romain Vignest, éd. Kimé, 2010.

Une histoire de l'école, Anthologie de l'éducation et de l'enseignement en France XVIIIe / XXe siècle, dirigé par François Jacquet-Francillon, éd. Retz, 2010.

 Il semble bien que tous les "élus" à l'éducation nationale aient voulu mettre leur "patte" à l'institution - sans grand succès - Vincent Peillon entend bien rester dans l'histoire comme un novateur tout autant que le continuateur des oeuvres révolutionnaires : " il y a l'essentiel : ce que l'on doit transmettre, ce que l'on considère - la nation toute entière - qu'un enfant doit savoir (...) c'est la responsabilité de l'école " " l'instauration d'un cours de morale laïque ... du Cours préparatoire à la Classe de Terminale " ce cours doit participer au « redressement intellectuel et moral " de notre pays." Edgar Quinet, Ferdinand Buisson, mais aussi Jean Jaurès ont montré que les révolutions avaient échoué en France parce qu’elles avaient raté leur objet ou l’avaient conçu de façon étroite. La Révolution ne doit pas être seulement une révolution dans les intérêts, mais changer les mœurs et les convictions, être une révolution des consciences. L’enjeu n’est pas seulement le pouvoir matériel mais aussi le pouvoir spirituel. À s’en désintéresser, on en laisse le monopole à l’Église, du côté de l’obscurantisme, de la conservation, voire de la réaction" ... " Je pense, dit-il, comme Jules Ferry, qu’il y a une morale commune, qu’elle s’impose à la diversité des confessions religieuses, qu’elle ne doit blesser aucune conscience, aucun engagement privé, ni d’ordre religieux, ni d’ordre politique ". Mais alors, comment quelque chose pourrait-il s’imposer sans à aucun moment blesser celui à qui il s’imposerait ? Dans l’esprit de Peillon, il est donc probable que cette morale soit vue comme une matrice au sein de laquelle la liberté de croire ou de penser pourrait se déployer sans dès lors remettre en cause son fondement. Fort bien, mais alors pourquoi parler de pouvoir spirituel ?

" Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité, c’est : - le respect absolu de la liberté de conscience - [sic]. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ".

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